lundi 18 janvier 2016

Mots d'autrefois


Parce que je faisais du tri dans ce gros disque dur externe sur lequel pourrissent les vestiges. Parce que je suis parvenue à retrouver les mots de passe de certains vieux fichiers word. 

Que, sans trop savoir pourquoi, j'ai laissé mes yeux errer en diagonale sur les centaines de pages, comme ça, vite fait, sans trop m'attarder pour ne pas m'attrister. 

Au final, du peu que j'ai trié, je n'ai gardé que quelques phrases, ici ou là. Des phrases gaies, ou tristes, ou bizarres. Des phrases qui ne servent probablement à rien sorties ainsi de leur contexte. Mais bon. Je ne sais pas pourquoi j'ai sauvé celles-ci particulièrement. 

Et les observer, là, en rang d'oignon, et me dire c'est bien gentil, mais je vais en faire quoi maintenant ?

En attendant, elles macéreront ici. Que je ne les ai pas sauvées pour qu'elles pourrissent dans un autre fichier, toutes seules, oubliées.






J'aimerais avoir des amis. Trois ou quatre, des vrais. Je leur ferais des cadeaux, des gâteaux, on se verrait souvent, on sortirait, on rirait. Je serais étudiante, j'irais en cours, toujours avec eux, car on serait inséparables. Je serais sérieuse, j'aurais confiance en moi, je passerais mes soirées dans les bras de mon petit ami.
Comme ce soir, j'aimerais.
N'importe qui, je m'en fiche : je veux juste qu'on me prenne dans les bras, qu'on me serre très fort, qu'on me laisse pleurer en me disant que ça ira. Qu'on me rassure. Qu'on me console.

***

« Y'en a, il suffit de quelques semaines pour les remettre sur pieds, et toi... »
Oui, et moi quoi ? Moi je suis un cas, un truc comme ça ? Je lui aurais rit au nez, si j'avais osé.

***

Papi me manque à en pleurer, c'est pourquoi je déteste ces repas de Noël.
On assiste à la mort de tous, un jour il n'y aura plus personne, j'en pleure d'avance. Parce que je serai la dernière autour de la table, à pleurer sur une assiette vide, regretter ces rires, regretter ces mots que je dis aujourd'hui, en oubliant de profiter des gens que j'aime.
Je pense souvent à papi. Quand je vais mal, je me dis : « mais imagine, qu'est-ce qu'il dirait s'il te voyait comme ça ? ». Parfois, j'ai envie de lui écrire des lettres, que je déchirerais ensuite pour les jeter dans le vent. Aller me recueillir sur une tombe. Sauf qu'il n'en a pas, non.
Il s'est envolé.

***

"Je n'ai pas très envie de parler ces derniers temps".
Ma psy n'a rien répondu, elle s'est contentée de me fixer au fond des yeux avec son sourire du jeudi.
"Alors, dites-moi juste comment avez vous vécu ces derniers jours ?".
Je lui ai répété pour la énième fois que je ne fais rien, je dors, je reste devant mon écran sur Internet, je fais des crises d'angoisse, et je ne supporte plus la solitude. Que je ne mange rien durant des jours puis que je me gave jusqu'à l'implosion et que je me fais vomir jusqu'à la bile, ce qui me rend dingue à désirer m'exploser le visage contre le mur une fois ou deux. Que j'ai la désagréable impression de m'échapper du monde, m'envoler lentement comme un ballon de baudruche que l'on regarde percer les nuages, un ballon bien inutile, que personne ne regrettera.
Et là, elle aussi a craqué me semble-t-il, elle a appuyé pile là où ça fait mal. Que ce n'est pas étonnant « que je me sente si seule si je suis si passive ».
Parce qu'elle croit que ça me plait, moi, de ne rien faire, à dix-huit ans, si ce n'est me dire que dans cinq ans je ne serai plus là ?
Je n'ai pas réagi. Oh, non, ça aurait été ridicule que je me défende, et c'est tellement plus digne de se taire.
Durant toute le reste de la séance, j'ai été calme, indifférente, désinvolte. J'ai juste terminé de déchirer ma mitaine gauche, achevé un ongle qui commençait à pourrir, et regretté cette agrafe qui me manque énormément, depuis qu'elle a été déplacée de ce petit coin sur la moquette que je fixe toutes les semaines.

***

Je fais des ronds, sur la table transparente, avec mon doigt.
Des centaines, des milliers de ronds, j'ai tout mon temps. Des bulles, des cercles, des ballons, ce que vous voulez. Puis je pose ma paume sur les dernières traces qui s'effacent, et regarde ma main, mes cinq doigts, ce miracle de la nature qui m'émerveille encore, et à chaque fois. Ma peau est couverte de tâches de peinture, elles ne partent pas à l'eau, surtout quand l'acrylique sèche. Du rouge, du jaune, du noir. Un peu de blanc, aux articulations.
Un arc-en-ciel.

***

Je me sens tellement, tellement, tellement seule. Perdue. Abandonnée. Sans repères. Je tombe, si vite, et je ne peux me raccrocher à rien, à rien du tout. Tout ce que je touche finit par pourrir. Ou par céder.

***

Je me suis encore acheté un bouquin. Je passe des heures interminables dans les librairies, à inspecter le moindre livre sous le regard inquiet des vendeurs parce que je reste là un peu trop longtemps, me croyant peut-être voleuse et au fond ils n'auraient pas entièrement tort, à en acheter sans même avoir le temps de les lire, les empilant les uns sur les autres sans même les ouvrir.

***

Rester calme. Se diriger vers la salle de bain, avaler un mince filet d'eau, se pencher sur les toilettes. Enfoncer la brosse à dent tout au fond de la gorge pour épargner nos doigts couverts de cloques. Tourner, enfoncer, se faire mal et s'en foutre. Giclées. Boire. Vomir. Boire encore. Vomir encore. Avoir des vomissures au bout de ma brosse à dent, et la remettre dans sa bouche juste parce que son goût putride va forcément nous faire régurgiter un peu plus. Vomir aussi tant l'odeur est nauséabonde, oublier que putain c'est pas normal de faire ça. Boire. Vomir. Se purger jusqu'à ce qu'il ne sorte plus rien, ou juste une eau jaunie dénuée de la moindre miette calorique. Rincer les filets de salives qui pendent de notre bouche, rincer cette bouche à l'eau tiède – parce qu'il ne faut jamais se brosser les dents, après, ça abîme encore plus l'émail. Essuyer nos yeux rouges en larmes et notre teint soudainement plus coloré. Se sentir débarrassée d'un poids. Se sentir mieux. Se sentir légère.
Remanger. Se re-gaver. Parce que le vide est revenu et qu'il nous est insupportable. Recommencer, et retourner, encore, dans la salle de bain pour dégueuler. Si ça marche dans un sens, ça marche dans l'autre.
Et ça ne sert à rien, outre me donner l'impression de gérer alors qu'au fond, soyons honnêtes, je ne gère plus rien désormais.

***

Je resterai un oisillon fragile toute ma vie, je crois. Une sorte de petite fille de cinq, six ans, qui ne grandit plus pour on ne sait quelle raison, hypersensible et avec la mélancolie tatouée à la peau. Une petite chose qui se vexe pour un rien, qui se sent triste pour un rien, qui culpabilise pour un rien et qui se prend la tête pour un rien.
Peut-être que je lis pour compenser mes carences en communication. Les paroles des autres, je les lis dans les livres, et mes réponses... je les écris dans mon coin, en douce, en secret.

***

Je deviens folle. Et ça semble me plaire, on dirait, vu toute l'obstination que j'y mets.

***

« Allez-y, roulez moi dessus, j'en ai rien à foutre, j'y arriverai. Rongez-moi la moelle, grignotez mes os uns à uns alors que je vis encore, je n'en ai rien à foutre. Brûlez mon cœur à blanc, si cela vous chante, je n'en serai pas moins indifférente, je veux vivre. Je vous aurai.
Vous autres, angoisses n'aurez pas ma peau. Allez-y, je suis prête, je ne céderai plus, je ne me recroquevillerai plus devant vous, me faisant toute petite, vous présentant mon cou pour que vous y plantiez vos dents acérées.
Vous pourrez même me saigner jusqu'à me rendre exsangue, je n'en ai rien à faire, je resterai, tremblante, accrochée au carrelage du bout de mes ongles rongés, mais vous ne m'aurez pas, je n'écouterai pas tout ce que vous me dites, je ne me laisserai plus glisser dans le hachoir votre secte. »
Oui. C'est bien joli tout ça, mais qu'est-ce que j'aimerais sérieusement encore penser tout cela quand je suis réellement en pleine crise d'angoisse.

***

Je me sens vide. Sale. Inapte à la vie. Mal. Je ne sais plus de quoi on parle. Je mets mon peignoir en m'essuyant, regardant une fille dans le miroir que je ne connais plus depuis quelques mois. Une fille qui se laisse mourir. Qui n'estime plus mériter demander de l'aide. Je saisi un bouquin au hasard, lis quelques pages, me couche sur le lit. J'ai envie de me couper. Je me retiens. Juste une coupure, petite mais profonde, que personne ne verrait… mais où ? Quelle conne.

***

Je comptais ne rien dire à la psy. Mais, au final, j'ai parlé.
A sa question : « A quoi pensez vous ? », la réponse m'a semblé si évidente, que je l'ai lentement articulée :
« Honnêtement, je pense que de venir ici ne sert plus à rien ».

***

Ça va marcher, ça va marcher, ça va marcher. Ça (doit) marcher.

***

Tiphaine – l'amie de Camille - est toute fragile, toute fébrile, elle tient à peine sur ses jambes, on ne peut s'empêcher de frémir parfois de peur qu'elle ne se brise en mille morceaux. Et puis ses grands yeux sombres, ses courts cheveux cuivrés voletant autour de son visage d'anorexique. Quand on est rentrées, j'avais envie d'écrire une histoire sur elle. Sur son personnage. Celui qu'il me semblait voir. Celui que j'avais dans la tête.
Avec Camille, on a finalement couru sous la neige, en pleine nuit. Probablement parce qu'il neigeait, déjà. Donc que c'était magique.
Il devait être trois heures du matin, et autant l'une que l'autre, nous avions des centaines d'étoiles dans les yeux, d'user ainsi nos dernières forces à courir comme deux gamines dans les rues de Lyon.

***

Je crois que je suis un désert.

Un désert qui cependant pleure, qui gaspille sa vie en essayant de la noyer. Qui a fait s'enfuir sa crise de boulimie avec la chasse d'eau. Qui a mit de la crème sur ses dernières coupures devenues violacées. Oui, c'est certain, je suis un désert. Avec du sable cyan qu'aucun vent ne viendra faire s'envoler vers les lagunes. Les dunes ondulent à l'horizon, il fait nuit tout le temps, ici, j'aime me cacher entre les ombres des cactus gelés.

Ne cherchez pas d'oasis. Il n'y en a jamais eu.

***

Je suis lasse de cette vie qui tourne et que je ne veux plus voir tourner.

***

Les pompiers m'ont embarquée dans leur ambulance qui vrombissait comme un serpent à sonnette dans le désert. Le plus vieux me disait que la vie était belle, que je devais au moins me forcer, mais je ne l'écoutais pas, préférant regarder la fenêtre du haut malgré le flou devant mes yeux. Mais il continuait ses jolis discours, je cherchais la meilleure réplique à lui crier pour qu'il arrête de me déblatérer ses conneries de dessin-animés. C'est alors que j'ai entendu un faible « accélère, la p'tite est en train de sombrer », et puis, avant d'avoir eu le temps de l'insulter, effectivement, j'ai sombré.

***

Je ne sais pas comment je vais.
J'aimerais bien savoir.
Un peu comme pour savoir si l'on a assez de fer, j'irais me faire faire une prise de sang pour le test « est-ce que je vais bien ? », et sur les résultats, il y aurait une échelle de 1 à 10 me disant comment je vais.
Hum, j'aurais peut-être même des petites fioles à boire si ça va mal et paf, direct, l'euphorie. ( Ma petite, ce genre de chose existe, ça s'appelle de la drogue ) Vu que je ne sais pas comment je vais ni quoi faire. Je crois que je ne serais pas même dans l'échelle, je suis définitivement ailleurs. Sauf que cet ailleurs me dépasse totalement, il est autre, il est plus que neutre, peut-être même qu'il n'existe pas, au fond.

***

La psy elle-même a laissé des messages sur mon portable, pensant que je risquais « faire une bêtise », comme on le dit gentiment pour parler du suicide. Je déteste cette expression. Quand on me demande si je risque faire une bêtise, je fais l'idiote : une bêtise de quoi ? Appelons un chat, un chat, bon sang.

Je lui ai expliqué que chacun disposait de sa vie à sa manière, que choisir la mort n'était pas égoïste, que c'était juste un choix comme un autre. Que ça m'embêtait juste de faire du mal aux gens que j'aime.
Résultat : elle téléphoné à la clinique pour les presser et me demande si je veux me faire hospitaliser ailleurs en attendant. Comme si ma vie avait de l'importance.

***

« Vous n'êtes pas raisonnable ».
J'entrouvre un œil, me demandant donc où je suis, avant de m'apercevoir de l'infirmière posant mon plateau sur la table. J'ai dormi toute la journée, étouffée par mes larmes.

« Je ne me sentais pas très bien » rétorquais-je, en guise d'excuse
« Mais quand ça ne va pas, venez nous parlez, nous sommes toujours disponibles ! ».

Parler, parler, parler... ils me fatiguent, ils n'ont que ce putain de mot à la con à la bouche, et puis, parler ça va résoudre quoi ?

Je suis lucide, c'est tout.
Ça ne se guérit pas, la lucidité.

***

J'ai acheté le même sac que Clarisse.
Parce que je le trouvais superbe, son sac.
La première fois que je l'ai vue, Clarisse, elle était avec ce sac, toute menue. Son sac, il était noir, avec de grosses photos dessus, comme des couvertures de magazines mélangées, je n'ai vu que ça, cette merveille de sac. Puis j'ai vu Clarisse. Anorexique, boulimique, si maigre, avec son joli roulement de hanches, ses côtes, sa maigreur, elle qui se croit plus grosse que moi et me déclare qu'elle voudrait me ressembler. Clarisse qui ne se voit pas comme elle est. Clarisse et ses petits yeux d'enfant triste. Clarisse et son teint hâlé, Clarisse, si féminine mais si complexée, au fond.
Clarisse, cette fille à laquelle j'aimerais tant ressembler. Et que je finirai par oublier d'ici quelques années, quand j'aurai quitté cet endroit où l'on essaie de réapprendre aux gens à vivre sans se poser autant de questions.


***

J'ai quatre vingt ans dans ma tête. J'attends sagement d'avoir une maladie que l'on nommera « visible » ou « physique ». Parce que voilà, quand il n'y a pas de sang, de fracture, de perfusions, de teint jaune, on a visiblement pas le droit d'avoir mal.

***

Mon sommeil n'est plus qu'un parlement politique, une foire, une cour de récréation. Une fausse note répétée inexorablement.  Une vieille cassette usée qui s'arrête de temps en temps, puis reprend lentement son rythme en miettes. Un coquillage à jamais heurté par la même vague.


***

Tout s'est déroulé très vite.
Le psy a été convoqué, il est tombé sur le cul en apprenant mes actes - pardonnez mes mes mots vulgaires. On m'a fait boire du Carbomix, ce truc noir épais, dégueulasse et visqueux qui annihile le poison.
Ils ont appelé une ambulance, pendant ce temps là une infirmière que je déteste est restée « pour me tenir éveillée ». Elle me posait des questions, je ne pouvais pas y répondre : j'oubliais progressivement tout ce qu'elle disait. C'était bizarre, je ne comprenais plus rien à ce qu'elle me psalmodiait. Et puis, il y avait des objets qui apparaissaient. Qui disparaissaient. Rien d'autres que des hallucinations, au final, mais si réelles sur le coup.
Les ambulanciers sont arrivés, on m'a allongée sur le brancard, puis menée à l'hôpital, le même que les autres fois. Le secouriste me parlait, je ne suivais pas. Je n'y arrivais pas. Il me parlait, me rassurait, il était gentil... lui. Et moi qui m'excusais d'une voix pâteuse, qui m'excusais de les avoir fait se déplacer, ce à quoi on me répondait sobrement : «  c'est notre boulot. » Pas faux, d'un côté. Au moins, les gens comme moi les font travailler.
Arrivée à l'hosto. J'ai enfilé la chemise de malade, on m'a placé un cathéter, je me souviens juste que j'ai été attachée à un lit jusqu'au lendemain... Comme c'est gentil, comme c'est rassurant, ces liens contre lesquels on ne peut rien.
J'ai rêvé ou imaginé qu'un homme voulait me faire du mal, mais il ne trouvait pas son chemin et se cognait contre le mur, encore, et encore, et... encore. J'ai eu des hallucinations de ce genre des heures durant, c'était terrifiant… je ne savais plus du tout où j'en étais. Et j'avais beau hurler, crier à l'aide, personne n'est venu me rassurer, personne.
Personne n'a supposé qu'une jeune fille attachée après une TS aurait aimé un peu, un soupçon, un minimum d'humanité. Strictement personne. Alors j'ai arrêté de supplier que quelqu'un vienne. J'ai serré les dents. J'aurais préféré qu'ils me laissent crever, ces êtres qui se croient forts, supérieurs, qui refusent que d'autres crachent sur leur joli monde, leur jolie vie que l'on doit subir coûte que coûte.
Et puis, le lendemain, je suis rentrée à la clinique, le mercredi soir. Je me sentais honteuse d'avoir trahi toute l'équipe médicale, tous ceux qui me faisaient confiance.
Je crois que j'avais juste encore besoin de toucher le fond pour, enfin, tenter de remonter.

***

Je vomi ma vie.
Je vomi quand je suis contrariée. Je vomi quand j'ai trop mangé. Je vomi quand je me sens trop triste. Je vomi pour me faire du bien, et me faire du mal.
Je vomi quand je culpabilise. Je vomi à la clinique. Je vomi à la maison. Je vomi dans les restaurants.
C'est assez simple : je suis un putain de vase-communiquant.


***

Parce que parfois ça fait du bien, de mettre les écouteurs à fond dans les oreilles et aller marcher un peu dans la petite ville qui entoure la clinique. Et parce que ça fait du bien, de se griller une clope ou deux, au coin de la rue, après avoir siroté un café. Parce que j'aime aussi boire un coca light au petit déjeuner. Ou vomir le kit kat que j'ai malencontreusement acheté. Parce que je n'ai rien à dire au psy et me contente de bouger la tête, un peu comme un animal. Parce que j'aime laisser couler ma vie par tous les orifices. Comme ça. Sans trop savoir où je vais.

***

A midi, j'ai picoré quelques légumes verts et me suis sauvée pour ne pas que l'on me dise que « oh, mais vous n'avez encore rien mangé ». Je suis allée voir ma seule amie ici, la machine à café, en bas. Je choisi toujours mes heures, lorsqu'il n'y a personne, lorsque tous les autres mangent.
La mousse du chocolat chaud de la machine est devenu ma tendresse quotidienne, uniquement autorisée lorsque je ne mange pratiquement pas à midi. Éphémère, si fine, si douce. Elle me console et me réchauffe le cœur pour la modique somme de cinquante centimes.

***

Bientôt je retournerai en cours, je serai dans la jolie case des gens normaux. Comme les autres. Et personne ne saura que j'aurai passé plus d'un an dans une clinique psychiatrique, que je suis dépressive ou bipolaire - ils savent pas - depuis trop d'années, anorexique, boulimique, phobique sociale, et que j'ai tenté de me suicider six fois pour le moment, si je compte bien.
Et d'ailleurs, je ne dirai rien. Sinon, en un battement de cil, je la quitterai, cette jolie case, cette jolie normalité.
S'ils savent, ils auront peur, et ce seront eux qui me sortiront avec violence de cette jolie case que l'on rêve tous de toucher du bout de nos chaussures sales...

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