dimanche 31 janvier 2016

Il a raison


01/02/16
08H40






« Tu m’emmerdes. Tu ne vas jamais bien. Y’a toujours quelque chose. 

Je peux pas avoir une copine normale ? 
Si j’avais su au début… sérieux, je me serais pas engagé.


En trois ans et demi, je t’ai pas vu souvent sourire ou être enjouée. T’es pas heureuse. Ça va jamais vraiment bien.


T’es là, mais t’es pas là. 
T’es ailleurs. 
Tu subis ta vie. 
Tu laisses couler. 
T’es spectatrice. 

Il faut que tu t’y intéresses. Que tu agisse. Trouve quelque chose qui te plait. Affronte tes peurs, c’est possible, une peur, ça se contrôle. Le seul truc que tu fais c'est remonter le moral des autres en mettant ta vie entre parenthèses (...) Ouvre les yeux.


Je te laisse du temps, alors cherche ce que tu veux faire de ta vie bordel. Trouve une formation, un boulot, n'importe quoi. Et arrêt de me parler de faire du ménage : tu sais pas faire le ménage. Note ce que tu veux faire, cherche, trouve.

La vie est pourrie pour plein de gens, mais faut faire avec, arrête avec tes idées noires, il faut affronter. Tu crois que ça me fait plaisir d’entendre ma copine dire qu’elle veut crever ? Tu as le choix de te battre, et le choix de me faire du mal. J’ai déjà donné, je l’ai déjà entendu ce discours, j’ai déjà vécu tout ça. Est-ce que j’y pense pas, selon toi, est-ce que j’ai pas peur d’un appel pour m’annoncer que tu serais morte ? Ca va se passer dans combien de temps, demain, dans six mois, un an ? Tu crois que ça ne me fait pas de mal ? Tu crois que je n'en souffre pas ?

Dans la vie on doit se battre. C'est tout. On ne doit pas lâcher.


Arrête de te sentir comme une incapable. Fais les choses, tu verras que c’est facile. C’est fou, ils t’ont bousillée pendant ta scolarité à te répéter que t’étais plus bas que terre. Mais en n’agissant pas, bah tu leur donnes raison.

Quant aux soirées… y’a une différence entre être réservée et effacée.
Tu ne regardes pas autour de toi, comme au volant. T’es absente, tu discutes pas. 

T’es centrée sur ton mal-être. Ça te rend aveugle. C'est sûr que si tu ne penses qu'à ça, les choses ne risquent pas de changer. Essaie de voir les choses autrement, bouge-toi, arrête de faire une fixette sur ton mal-être sinon comment veux-tu que ça évolue ?

Tu as peur de la vie. »



Bref, je vais faire ce que je peux, en espérant que ce coup de pied au cul m'aidera. Peut-être est-ce un moyen d'avancer. Peut-être que faut être brutal pour me faire réagir, j'en sais rien. Il faut que je trouve un intérêt à ma vie. Et vite. 
 

Vide existenciel


31/01/16
16H14


[Agitation]
[Impatience]
[Tension intérieure]
[Bouillonnement]
[Speed]
[Tourne en rond]
[Tournoie]
[Bougeotte]
[Nervosité]
[Anxiété]
[Turbulences]
[Absence de concentration] 
[...]

[H U R L E M E N T ] 

samedi 30 janvier 2016

Oxygène et nicotine


31/01/16
08H28





Je recommence mon arrêt du tabac dès aujourd'hui. 
Avant hier soir, une soirée, et tout le monde fumait, et donc j'ai fumé. 

Soirée sympa d'ailleurs. Doucement, on apprend à connaître le duo mère-fille, étonnantes, zen et fusionnelles. 
Nous les avons vues juste deux ou trois fois pour le moment, mais le courant semble passer entre nous. Je suis encore un peu réservée, mais je les aime bien. 
J'avoue que leur relation me laisse perplexe, vu qu'avec ma mère, c'est (très) difficile. Je les observe, liées, fumer des joints ensemble et déconner comme deux jeunettes, et je trouve ça génial. Parce qu'elles ne se posent pas de questions, parce qu'elles sont elles-mêmes. 
Samedi, nous sommes invités à l'anniversaire de M. la fille. 
J'espère enfin sortir de ma réserve.


Hier, un peu fumé aussi. Pas autant qu'avant, loin de là, mais quelques roulées de fumées quand même. Donc aujourd'hui, je re-recommence mon jeûne de nicotine. Je vais bien finir par y arriver. Samedi, à la soirée, pas d'excuse, ce n'est pas parce que je serai dans un nuage de fumée qu'il faudra m'en griller une. 

mercredi 27 janvier 2016

Jeudi


28/01/16
08H34
BO : Lindsey Stirling




La météo a des airs de fin du monde. 
J'aime bien.
Les montagnes se sont effacées pour un temps. Des tons d'un jaune presque vif. 

Doucement, la brume se dissipe, et apparaissent les sommets.
Je ne me lasse pas de la vue depuis mon bureau.
 
Je n'ai pas cherché à rester éveillée hier soir. A regarder un film. Une série. J'ai dormi sur le canapé, calée contre lui, et puis je suis montée me coucher sur le matelas. J'ai encore fait des tas de cauchemars. 
Je ne comprends pas la fracture. Pourquoi je me suis sentie plus confiante, plus sereine, plus motivée, et... du jour au lendemain, à nouveau, le sentiment d'être incapable, la peur accrue, le découragement, les idées noires. J'attends de voir comment inverser le système.

Une journée sans tabac de passée (quelques mégôts de fumés, ça compte ?). 
Ce matin, la cigarette associée à mon café me manque beaucoup. Alors je bois cafés sur cafés. Et encore. Et... encore. Je comble le manque par le café, qui crée lui-même le manque, alors je me ressers, et me je ressers.... et c'est un cercle vicieux. 

Il faudra du temps pour me créer de nouvelles habitudes, il faut que je tienne. Il faudra surtout que je sache résister aux impulsions, s'il y en a. Résister si je pète les plombs.

Du reste, le moral est fragile. 
Je vais chercher un moyen de le préserver un peu.

Dans deux mois toute pile j'aurai 30 ans. Je crois que je n'arrive pas à le réaliser. Il me reste deux mois. Bordel, c'est fou quand même. Si on m'avait dit que j'atteindrais cet âge-là. Je ne comprends pas, en quelque sorte. Comment... c'est possible.

 

J'sais plus


27/01/16
15H26



Il y a eu quelques jours de confiance, de motivation, d'envie. Je pensais que ça durerait un peu plus longtemps. J'ai cru que ça continuerait sur cette lancée. C'est con, ou naïf, mais j'y ai cru.

Je tente d'oublier de manger. 
Je tente d'oublier le manque de tabac qui devient difficile à vivre. 
Je tente d'oublier les efforts à faire, la conduite, le groupe, les rendez-vous. 
Je tente d'oublier le mal de vivre, là, dans le creux du ventre.

J'ai mélangé un peu de lexomil et de tercian, mais ça ne me calme pas. Idées noires qui se distillent. Mais j'ai peur de l’asphyxie. J'ai peur de crever salement. Il n'empêche, je me dis, ça peut être une bonne année pour mourir. L'année de mes trente ans. Symboliques à la con.

Alors j'avale mes petites gouttes et pilules pour calmer le monstre qui se réveille en dedans. Le volcan, le parasite, le carnivore. 
Je me demande pourquoi d'un coup à nouveau tout est sombre et sans lueurs. Pourquoi parfois ça va, d'autres fois nettement moins. Je me demande ce qui cloche bon sang, chez moi. J'aimerais avaler toutes mes pilules, sachant que cela ne me tuerait pas, mais juste pour dire "stop", que ça soit plus concret pour ceux qui me suivent. Qu'ils comprennent que je ne mens pas quand je dis que j'ai plus de forces. Et rester aux urgences quelques temps, en suspend, et dormir, et me laisser mourir sur un lit à barreaux au moins quelques jours. Peut-être que ça serait plus réel pour mes soignants. De passer à l'acte au lieu de répéter encore et toujours ma lassitude.

Je relis mes listes pour "quand ça va pas", mais ça ne me fait rien. Je relis les victoires. Tout m'indiffère. Du sang dans la bouche. Juste envie d'avoir sommeil, et de dormir. Le soir, ne plus même discuter, ne plus même regarder quelque film, juste : dormir. Si je pouvais dormir comme ça, à jamais, ou quelques années. N'être ni vivante, ni morte. Un bon dilemme. Pour eux comme pour moi.

Je m'en veux d'être comme ça. Je m'en veux d'écrire ça. Je m'en veux. Je vais tâcher d'oublier. Oublier que ça va pas. Me fabriquer un personnage. Tuer qui je suis. J'en sais rien. Mais faut que je trouve quelque chose. N'importe quoi. Un lambeau d'espoir, rien qu'un lambeau, pour me rappeler que je peux peut-être un jour aller "mieux". Pour redonner à la vie un peu d'attrait. Pour rester sur le fil, encore un petit peu.

Aldebert - La Complainte de l'ex Fumeur



27/01/16
11H51
En manque, mais je tiendrai.




Affranchi comme une carte
D'un timbre sur l'épaule droite
C'est la traversée du désert
Je viens d'écraser la dernière,


Comme un grand coca glacé
Sous la canicule d'été
Qu'on vous empêcherait de boire
Et sur lequel on peut s'asseoir


24h/24
La blessure arbitraire
La convoitise opiniâtre
D'une bouffée salutaire
J'ai beau mâcher des trombones
Et tordre des clous
A cette idée qui se cramponne
J'aimerai tordre le cou


C'est décidé j'assume
Déterminé j'arrête
Je ne fume plus une cigarette


C'est sympa de m'accompagner
Dans le renoncement du vice
Tout le monde m'a félicité
A part Philippe et Morris
Qui m'attendent au tournant
Quand j'irai en cachette
Désespérément
Craquer l'allumette


1,2,3,4 jours sans tabac
C'est pas beaucoup certes
Mais dans 26, ça fera 1 mois
On me trouve légèrement irritable
Et j'me d'mande bien pourquoi
Sans doutes parce qu'hier à table
J'ai défénestré l'chat.... 

C'est décidé j'assume
Déterminé j'arrête
Je ne fume plus une cigarette
 
Adieu ma blonde, je t'aimais bien,
Mais entre-nous, c'est plus possible,
J'suis venu te dire que tu t'en vas :
Notre amour est nuisible...
C'est écrit en gras sous le dromadaire orangé
Qui regarde, narquois, les caisses de l'état engranger,
Ça part en fumée, 
Et ça part en fumée,

Quelle tristesse, c'est pas gai,
Tout cet air pur qui s'infiltre,
Sans vouloir mégoter
Ma vie ne tient plus qu'à un filtre,

Je regrette le temps jadis où j'occupais mes doigts
Et trouvais consistance sans forcément prendre du poids,

A combler le vide d'air
Par le contenu du frigidaire,
J'céderais mon trône pour un mégot
Mon royaume pour un chameau !
Et si j'déclarais forfait
En plein milieu du match,
Personne pour me dire... échec et patch !

Lalala.... 


Aldebert 
" La Complainte de l'ex Fumeur "

Envie de mordre


27/01/16
10H17



Beaucoup de cauchemars. 
Des cauchemars entremêlés : conduite, psy, suicide, angoisse, frayeurs. Le réveil est douloureux, en sursaut, et il me faut une bonne demie-heure pour "redescendre".

Du découragement, à nouveau. La conduite hier soir m'a tellement... je n'ai même pas envie de me souvenir. La confiance va et vient. Elle surgit et s'enfuit à nouveau. On joue à cache-cache. Elle aime bien se dissimuler et me laisser en panique au volant, à faire n'importe quoi. 

J'avais retrouvé une sérénité au volant qui a volé en éclats hier. Des fois, voudrais vivre dans une bonne grosse ville toute moche avec tram, métro et bus. Comme à l'époque de Lyon. Pour éviter de conduite. 
Ah, l'évitement, oui, je sais, je sais, ça ne fait que faire perdurer la peur et l'amplifier... Il faut se heurter aux peurs, oui, je sais aussi. Il faut s'habituer, en allant contre ce qui nous effraie, il faut s'exposer, oui, je sais, je sais... Sauf que voilà : MERDE ! 
Je suis crevée. Envie d'envoyer bouler, envoyer valser, les conseils, les ordres, les "il faut" et les psys qui croient que c'est facile, qui ne savent rien d'autre que ce qu'ils ont lu dans leurs gros bouquins impersonnels... Oui, merde ! Là, j'ai plus envie de penser, ruminer, juste envie de dormir plusieurs jours, qu'on me foute la paix. Ras-le-bol de mes suivis, mes groupes, mes rendez-vous, les efforts constants, les efforts à tort et à travers. J'veux des vacances hors de ma tête. Merde !




Le sentiment de stagner, de n'être capable de faire davantage. Le sentiment... de ne pas pouvoir faire mieux. La peur intérieure, vorace, pesante. Les angoisses, raisonnées ou non, les angoisses, là, toujours cachées et prêtes à surgir, crocs en avant. 

Plus de tabac depuis hier soir. Ça se passe "plutôt bien" pour le moment, même si j'avoue avoir fumé un ou deux mégots. Je déteste le réflexe "t'as qu'à fumer ça ira mieux", et l'espace d'un instant, se dire "oui, c'est ça qui me manque" et réaliser que non, c'est fini tout ça... il faudra réapprendre, changer les habitudes, comme pour tout. Ça prendra du temps, mais c'est possible. Ça sera dur parfois, très dur, et d'autres, moins. Mais j'y arriverai. Retrouver ma liberté, économiser de l'argent, avoir un teint plus frais, j'ai tout à y gagner. Même si, oui, je m'en grillerais bien une, là....

mardi 26 janvier 2016

Ca passera


26/01/16
19H31




RDV mitigé. Il m'a parlé de ces extrêmes qui me semblent irrésistibles, car je fonce tête baissée. Tout noir ou tout blanc. Tout bon ou tout mauvais. La conduite... de nuit, mal passée. Le retour d'envies disons autodestructrices. Arrêter de manger, comme avant. Fermer les volets la journée. Rester allongée. Boire trop. Faire des mélanges de médocs. Suspendre une ceinture. Les idées noires passent et volètent. J'espère que demain, ça ira mieux. Ce soir, j'ai juste une sorte d'envie de mourir, d'envie que tout cesse, un refus, un "non", quelque chose dans ce goût là. Le tabac me manque, aussi. Fatiguée de ces efforts qu'il faut sans cesse faire.
 

Pourquoi ?


26/01/16
15H57



Et à nouveau, les questionnements existentiels, les doutes, incertitudes et autres "à quoi bon ?" qui tournoient comme à l'habitude. 
Et à nouveau, me demander si ça en vaut la peine, et à nouveau, me demander comment les "autres" font pour vivre, sans toutes ces questions, ou moins. 
Quel est le but de cette existence, quel est le but de mon existence ? Est-ce que ça m'intéresse, seulement ? 
J'aimerais tellement dire : je passe mon tour. Dire, bon, moi, je m'en fous, de tout ça. Et qu'est-ce qui vaut la peine ? Pourquoi ? Pour quoi faire ?

J'espère que la séance psy de ce soir me fera du bien, mais j'ai le pressentiment que non, que le silence sera là, entre nous, j'ai le pressentiment que l'on "aura rien à se dire". Comme souvent. Et je sortirai de la séance avec un "tout ça pour ça". 

Envie de me terrer quelque part et faire la morte. Le manque de tabac commence à se faire sentir. Satanée addiction. Je tiendrai. Mordicus.

Le ridicule ne tue pas


26/01/16
09H28



Je voulais bien faire, alors j'ai pris rendez-vous chez le médecin, pour le déclarer en médecin traitant, faire ça comme il faut, faire ça comme ça, c'est fait, bref... je crois qu'entre tous les changements d'adresse à faire en ce moment, j'ai gaffé en voulant faire ça.

Je me suis donc ramenée au cabinet avec ma bonne intention, et le médecin a ouvert de grands yeux, un peu perdu face à mon "je viens pour la déclaration de médecin traitant, j'emménage ici." Et de me dire, ce n'est pas une obligation. Il préfère que ses patients prennent cette décision après plusieurs séances, s'ils se sentent "en confiance" et non "contraints". Je me suis sentie affreusement ridicule et stupide, sur le coup. Dans un silence gêné, à se regarder dans le blanc des yeux, gênés autant l'un que l'autre.



Plutôt jeune, plutôt sympa, plutôt sensible, ce médecin. 
L'espace d'une seconde, me dire : lui, si je le vois souvent, je vais faire un bon gros transfert...



On a parlé, parlé de mes soucis psy toute la séance, à défaut de ne signer les papiers pour lesquels j'étais venue. Il est ouvert d'esprit et plutôt compréhensif. 

Des blancs, des malaises, comme lors d'un premier rendez-vous amoureux. La honte à l'intérieur de moi. Le ridicule. Lui, aussi gêné que moi. Une situation improbable. 

On a discuté pendant une demie-heure, il a insisté pour que je ne le paie pas, et je suis partie sans demander mon reste, la tête basse.




Ce soir, psy à dix-huit heures.
Celui que j'aime m'accompagne, mais je serai au volant. Je vais découvrir la nouvelle route. Je déteste aller chez le psy en voiture, là-bas, c'est le bordel niveau circulation. C'est "le" trajet à faire que je déteste le plus, celui que je ne fais pas encore seule. Là-bas que j'ai failli me manger une voiture sans même m'en rendre compte.

Je pense d'ailleurs que lorsque je m'y rendrai en solitaire, j'espacerai les séances à raison de deux par mois au lieu de quatre. Parce que 40min aller et 40min retour tout ça pour 20min de séance parfois en mode "on a rien à se dire", ça fait beaucoup, parce que l'essence ne tombe pas du ciel gratuitement, parce que. On verra.

Je ne sais pas comment je me sens.  Je me sens "mieux", mais très agitée, très impatiente, sans concentration. Des choses à faire mais une vague d'incapacité à les faire. Je tournoie sans parvenir à me calmer. Je m'agite comme une abeille folle. Je n'arrive pas à me poser, voire me reposer. Ça carbure sans cesse dans ma tête, sans fin, sans pause. Je voudrais débrancher mon cerveau quelques heures. Juste quelques heures. Et prendre du recul, pour mieux voir la suite.

lundi 25 janvier 2016

Les mots qui manquent


Texte 2014



Assise au bout de la table, elle en est à son cinquième verre de vin. Ou disons plutôt, bientôt au sixième. Parce que l'alcool, ça délie les langues. Toutes les langues, sauf la sienne, en fait. Alors elle boit, encore un peu, elle finit les bouteilles, et jamais aucun son ne sort de sa bouche.

Il ne faut pas lui en vouloir. C'est pas évident. C'est terrible, aussi, ce sentiment qui s'accroche, cette sensation d'être si différente d'eux.

Elle écoute. Oui, ça, elle sait faire, écouter. Elle écoute et ne sait quoi rajouter pour faire avancer le débat. Elle écoute les mères parler des dernières prouesses de leurs enfants, elle les observe d'un œil lointain les tenir, les cajoler, gazouiller avec eux. Elle se ressert un verre. Elle a besoin d'un verre. Les enfants, ça n'a jamais été son truc. Alors elle zappe. Elle écoute plus loin le long de la table. Achat immobilier, bricolage et travaux. Elle sait, tout au fond d'elle, qu'elle n'achètera jamais rien. Il faut avoir un travail, déjà, pour avoir un prêt. Il faut être stable. Ô stabilité. Tout le monde se demande si un jour elle signera enfin un contrat quelconque, si elle saura affronter ses peurs sociales que personne ne comprend, d'ailleurs. Stable, c'est quelque chose d'irréel. Instable, c'est comme ça que la définit sa mère. Cette dernière a déclaré dernièrement qu'elle ne pouvait avoir confiance en la vie de sa fille : tout finira encore par s'écrouler, c'est comme ça. Son couple, aussi. Ça lui a pas plu, d'entendre de tels propos de la voix de sa mère, elle a crié, crié plus fort, crié en vain. Ça y est, elle s'est encore égarée dans ses pensées. La conversation sur l'isolation de la maison et les tarifs des granges dans le coin continuent. Elle boit. Elle boit et se demande pourquoi diable elle ne ressent rien, aucune ivresse. Elle se demande à partir de combien de verres, peut-être, elle lancera une connerie, si elle ose.

Personne n'a encore entendu le son de sa voix, elle se sent mal. Elle n'ose pas parler, encore moins parler d'elle. Travail, immobilier, mariage, enfants. Les conversations continuent leur petite ronde. Et le sentiment de différence qui s'intensifie. 

Elle n'ose pas prendre la parole, et pour dire quoi ?

J'ai deux psys qui me suivent depuis un an, ça se passe, mon traitement me laisse perplexe, ils me disent que si ça ne convient pas, il faudra passer au lithium. Quelqu'un sait ce qu'est le lithium ? Moi non plus. Enfin si, si je le sais, mais y'a trop d'effets secondaires, et bon, je ne vais pas dire amen à tout.
J'écris moins. J'écris plus. Au fait, un recueil de quelques nouvelles va bientôt sortir chez les éditeurs de ma nouvelle, celle dont j'avais brièvement parlé quand elle est sortie.
Laquelle ? Oh, qu'importe... c'est pas grave.
Je bois souvent seule. J'ai peur de finir alcoolique. Je dégueule de temps en temps. J'ai peur de rechuter, d'y reprendre goût. J'ai pété les plombs avant-hier, j'étais en pleine angoisse, j'ai tout fracassé, ça nous a pas mal fragilité, hein mon amour ?
Je sais, c'est pas gai, je sais, je transpire de pessimisme, et je crois que mes psys devraient s'y faire, j'envie parfois votre insouciance, j'aimerais m'en inventer une, même si je sais qu'on a tous nos propres problèmes, les miens me donnent envie de crever - pardon. Je dessine moins aussi. Faute à la concentration. Je passe mes journées entre idées noires et fatalisme, je ne comprends pas pourquoi j'ai et j'ai toujours eu cette violente envie de crever.
Je me demande parfois à quoi ça sert, puisque rien n'est jamais acquis, je me demande à quoi bon, puisque tout redeviendra poussière, et en même temps, j'ai si peur de la souffrance associée au fait de se donner la mort, la violence de l'acte… ça me bouffe.
Qu'est-ce qui vous pousse à vivre, vous ?
Est-ce que vous vous posez autant de questions que moi ?
Pourquoi vous dites plus rien ?

Tu as raison de te taire, remarque-t-elle après son monologue intérieur, et rapprochant le verre de digestif qu'on lui a servi par réflexe. T'es pas comme eux. Tu ne seras jamais comme eux. T'es différente. En quoi, c'est difficile à dire, mais t'es différente. Le digestif enfin lui déclenche une légère euphorie. Euphorie qui retombe rapidement en mal-être.
T'es pas différente. Tu te crois différente. Tu te rends différente. Aller, lance-toi, discute, souris, échange. Pourquoi t'en sens-tu incapable ? Peut-être t'es-tu crée toi-même cette distance ? Où sont les frontières que tu crois distinguer ? Regarde-toi, là, seule avec tout cet alcool dans les veines, oubliée du cercle, lointaine, paumée, seule à en mourir. Tu t'es repliée, tu dois bien avoir des choses à dire, des affinités, même quelques minuscules, même quelques unes. Non, tu ne vois rien ?
Et garde les yeux ouverts. Ne laisse pas ces larmes de crocodile glisser, ça va attirer l'attention, et puis, il faudra que tu te justifies.
Tes yeux brillent dans le noir. Brillent de solitude. Brillent de haine.

La soirée se termine, tous sont heureux de s'être revus, s'exclament et s'embrassent. De son côté, elle n'aura qu'à s'en prendre à elle-même, une fois de plus. Recluse dans son cocon imperméable, dans ce sentiment de différence, là, dans la marge, à côté, à part, décalée, en retard.

On apprend rapidement, on accepte rapidement le repli, on en prend l'habitude, on finit par croire en cette lointaine planète autre sur laquelle on vivrait, loin, très loin des prêts bancaires, des couches, des alliances, des chanteurs populaires, des portes sur-mesure, du monde du travail... des amis.


Je n'ai rien à dire.
Je n'irai pas à la soirée demain.

Le Mug


[Texte 20 décembre 2014]




C'est comme si tout se fracassait la gueule en ce moment. Un peu comme mon mug, hier.
Oui, mon mug. C'est toujours le seul objet auquel on tient qui, malgré le soin qu'on lui procure, malgré les attentions, finit irrémédiablement en miettes quelque part, qui plus est au moment où l'on s'y attend le moins. 
C'était le soir de mes vingt ans. 
J'étais en clinique psychiatrique, et j'avais encore moins envie de sortir de ma chambre qu'à l'habitude. Je boudais, parce que le soir de nos vingt ans, on est censé faire la fête, on est censé avoir des amis, on est censé... être heureux. Je ne faisais pas la fête, mes amis étaient partis, et je n'étais pas heureuse. Donc je boudais.
On a frappé à ma porte, j'ai supposé que ce n'était personne avec quelque blouse blanche : eux ils entrent sans frapper, en se foutant bien qu'on soit à poil, ou qu'on aie envie d'être un peu seul. 
J'ai fini par ouvrir, et un petit groupe de patients-amis étaient là, timides, avec des petits cadeaux et ont chantonné, maladroits, adorables. Ça m'a fait aussi mal que bien. Parce que tant de gens qu'on connait bien oublient souvent les anniversaires. Eux, ils ne me connaissaient pas tant que ça, je ne les connaissais pas tant que ça, on avait dû me demander la date de mon anniversaire, j'avais dû l'énoncer d'une voix pâle, et ils l'avaient retenue, putain, et ils avaient acheté de petits cadeaux, putain, et ils étaient venus me voir... putain.
Non pas que ça me tienne à cœur, les anniversaires. J'ai même déjà oublié le mien, le jour en question. Mais c'est comme ça. Ça m'avait bouleversée. 
Ce mug artistique était un des petits cadeaux. Et même si je n'ai plus aucun contact avec eux, leurs visages sont toujours gravés dans mon esprit, malgré leurs traits flous et les détails manquants. Alors j'en prenais soin, de ce mug. Je le posais toujours au centre de la table, pour pas qu'il tombe. Je le lavais mais ne le posais pas avec le reste de la vaisselle propre : on ne sait jamais.
Et hier, je sais pas ce qui s'est passé. Il s'est fracassé la gueule, il est tombé, comme ça, sans crier gare. Quand je l'ai vu en morceaux par terre, j'ai bien cru que j'allais chialer comme une gamine. Mais non, je suis restée plusieurs minutes là, plantée dans la cuisine, comme si y'avait un cadavre à mes pieds.



Ce matin, j'ai ramassé les morceaux, je les ai placés dans une barquette en plastique contenant à l'origine de la crème glacée, que j'ai refermée et rangée dans un coin. C'est con, mais je pouvais pas les jeter.
Voilà, c'était ça, mon mug.

Casse-tête chinois


[Vieux texte]




Je ne sais pas si ce fut à cause de la nuit blanche de la veille qui a accentué mon irritabilité, ou parce qu'en ce moment tout me consterne et me donne envie de trouver un aller-simple pour Pluton, ou si c'était juste ce film... voire -sûrement, en fait- les trois en même temps. Je ne sais pas.

Bref, même si j'avoue que je n'étais pas très motivée à l'idée d'aller au cinéma (à cause de la nuit blanche, je pense), j'avais tout de même envie de voir la suite de l'Auberge Espagnole et des Poupées Russes.
Surtout un soir de Noël, c'est agréablement anti-conformiste.

J'ai découvert ces célèbres films (faut dire ce qui est) il y a peu. Je suis un peu bizarre parfois : plus on me parle d'un film, moins j'ai envie de le voir. (comme pour tout d'ailleurs : livres, artistes... )
En résumé, quand quelque chose a un énorme succès que ce soit commercial ou dans mon entourage, moi je boude. J'ai jamais vraiment compris pourquoi je fonctionne comme ça, au fond. Ça peut sembler très prétentieux, mais c'est un fait : je n'y arrive pas.
Après, pour savoir exactement pourquoi je fonctionne comme ça, il faut avoir un bon gros diplôme de psychiatrie, à mon humble avis.

Ma mère m'avait offert le premier tome de Harry Potter à l'époque, et j'ai boudé.
« Non, j'veux pas l'lire. »
J'ai essayé, si, si, je vous jure. Ça a été un gros échec. Je n'ai même pas vu les films - enfin j'avoue - j'ai regardé les trois quarts du premier, sauf que bon, sans le connaître, il me provoque une overdose épidermique ce pauvre Harry. C'est sûrement très bien, je sais, sauf que je ne peux pas. Toute cette folie autour de ce pauvre sorcier, ça m'a profondément ôté toute curiosité.
D'autres fois, je laisse couler le temps, j'attends que tout le monde passe enfin à autre chose pour m'y mettre en secret. Quand "Hunger Games" a fait un tabac, j'ai râlé, boudé, tout ce que vous voudrez. Et j'avoue, un beau matin, j'ai quand même eu envie de les lire à force de les voir me narguer chez le libraire. Depuis, c'est comme ça, je suis accroc au point de sombrer dans les produits dérivés, et « dieu sait » que j'ai terriblement honte.

Bref, je m'égare je crois.

Revenons au sujet principal avant que je ne griffonne un roman pathétique totalement dénué d'intérêt.
A propos des films de Cédric Klapisch, j'ai seulement regardé les deux premiers volets la semaine dernière. En me disant que si tout le monde en parle, alors c'est que ça doit être bien, et que ça ne fait pas forcément de moi un mouton pâlot et sans personnalité.
J'avais adoré et détesté à la fois ces deux volets.
Et hier, en plein milieu de "Casse-tête Chinois", j'ai fondu en larmes comme une putain de gamine ridicule. J'avais déjà eu du mal avec les deux autres films, mais j'avais survécu. Là, ça a été un gros échec au niveau lacrymal.
Parce que c'est vrai, tout ça : la vie est une succession de jolis châteaux de cartes qu'on peine à construire, à faire tenir convenablement, et qui se fracassent presque tout le temps la gueule. Là, devant l'écran, je pensais à tous ces futurs châteaux de cartes, à moitié construits ou encore pas commencés, qui se casseraient la gueule quoi que je fasse. Et j'ai eu envie de toute laisser tomber, là, l'espace d'une seconde. Dire : merde, moi je peux pas. Je sais pas comment vous faites, tous, mais je peux pas, moi, c'est comme ça, je vois pas l'intérêt de faire des châteaux alors qu'il y aura toujours une bourrasque.
J'en ai vu des films glauques, ou violents, ou gorgés d'un réalisme dégueulasse, mais il a fallu que mes doutes deviennent évidents devant ce film-là, qui ne perturbe pas grand monde à part moi, selon ce que j'en entends. Faut pas chercher, comme dit mon homme : « t'es montée à l'envers, toi ».

Je me suis couchée sur le siège, recroquevillée, j'ai fermé les yeux très fort, j'ai serré les dents jusqu'au générique en me demandant si mon maquillage éparpillé sur mes joues me trahirait.

Au retour, dans la voiture, j'étais aussi fraîche qu'un mort-vivant, aussi joyeuse qu'un bourreau, aussi... enfin, vous voyez.

" T'es tellement pessimiste... "

Oui, je sais.
Enfin : si tu veux.
Je dirais bien « non, plus réaliste que pessimiste », d'ailleurs. Pourquoi les pessimistes précisent-ils toujours cela ? "Non, je suis pas pessimiste bordel, je suis lucide, c'est tout, tu vis où toi, au pays des Bisounours ? Sors de ta bulle bordel !"
Bref.
Disons juste qu'à mes yeux, c'est vrai tout cela : combien de nos châteaux de cartes survivent aux vents, hein ?
Et pourquoi y'a toujours un putain de vent qui vient tout faire fracasser au moment où l'on pose les dernières cartes ?
Hein ?

Moralité : Merci Cédric Klapisch d'avoir rendue ma thèse si évidente, toute façon, si y'a un quatrième volet, je resterai chez moi à manger de la crème glacée devant un autre film - un truc d'horreur ou d'épouvante peut-être -  et je ferai l'autruche sur tous les futurs châteaux de cartes de ma vie à moi.

Les "fous"


12H16
[Vieux texte]






Les troubles psychiques, ça n'a que des inconvénients.

Et vous aurez beau vous battre, vous débattre, ça n'aura jamais autant d'impact que si votre maladie était visible, acceptée par les mœurs, considérée comme légitime.

Dans ce monde civilisé où 42% des Français associent encore la maladie mentale à la folie, on ne vous prendra pas au sérieux, car votre souffrance est imaginaire, c'est dans votre tête : visiblement vous êtes trop con pour le réaliser. Arrêtez d'être mal et pensez un peu à ceux qui souffrent vraiment, les cancéreux, les incurables, par exemple.

(Retour rapide, lecture)

Un groupe, dans la première clinique où j'étais allée. Un groupe sur je ne sais plus quel thème, un groupe entre paumés de la vie. Et il y avait ce petit homme, d'une cinquantaine d'années, les cheveux grisonnants, de petites lunettes. Ce petit homme qui répétait sans cesse, peut-être parce que lui aussi trouvait cela incompréhensible et aberrant, qu'il avait vaincu le cancer, gardé la tête haute, mais que la dépression qu'il subissait alors était en train de soigneusement le tuer.

«J'ai vaincu le cancer, mais je crois que la dépression va gagner.»

Ça faisait mal de le voir dire ça d'une voix frêle, à chaque fois, répéter et répéter encore cette phrase, sentir sa douleur dans la pièce, et ne rien pouvoir faire d'autre que de lui accorder un sourire triste. Vous voulez savoir ce qu'il est devenu, ce petit homme émouvant ? Je vous le raconterai cela plus tard.

(Retour à l'instant, bip)

Seulement, allez dire aux gens qui ne comprennent ou ne veulent comprendre que vous souffrez, même si c'est différent. Allez leur expliquer quelque chose qui, sous prétexte qu'il ne se voit pas, n'existe pas.
Qu'une crise de panique nocturne avec idées noires reste la même chose qu'une attaque quelconque : vous risquez céder à l'impulsion dans votre crise, et vous retrouver pendu à une poignée de porte parce qu'alors, vous n'aurez rien trouvé de mieux pour faire cesser l'enfer, l'angoisse ayant été trop forte pour que vous gardiez la tête froide. Ah, pardon. C'est vrai. Ceux qui vont plutôt bien, et qui prônent combien les maladies mentales ne sont que pure illusion, n'ont pas la capacité de comprendre ce genre de chose. Paniquer, c'est pas bien grave, hein.

Il n'empêche, les troubles mentaux concernent une personne sur cinq. Méfiez-vous. On ne sait jamais sur qui ça va tomber...

En douce, vous rêvez. Vous les imaginer, ces criards, soudainement goûter à cette saveur âcre dans la bouche, le corps qui capitule d'angoisses en paniques, le désintérêt incompréhensible, le dégoût, et cette douleur dont on ne peut parler, parce qu'aucun mot ne peut définir l'impalpable. Vous les imaginez, eux, qui savent tout sur tout, soudainement réaliser que la vie n'est plus possible avec cette broyeuse, et que peut-être la mort serait un moyen de faire taire la douleur.

D'entre vos souffrances, jamais vous n'aurez droit à quelque compassion, à quelques phrases qui pourtant vous aideraient à croire que vous vous en sortirez : «tu es courageux», «on est avec toi».

On considérera vos problèmes comme moindres comparés à d'autres, sans cesse, encore et encore. Et vous culpabiliserez davantage, sans savoir pourquoi, vous vous sentirez à l'écart, de côté, cinglé, irrécupérable, bouffé par la honte. Face aux regards, aux discours, vous déciderez de vous isoler. Vous ruminerez encore plus, cherchant ce qui cloche chez vous. Vous baisserez le visage face aux soupirs de vos proches, leur lassitude légitime.

Progressivement, vous commencerez à vous demander si lutter pour des personnes qui sont fatiguées de vous voir mal est une bonne chose, si vous ne devriez pas vous écouter, pour une fois, et passer l'arme à gauche.

C'est désolant de voir qu'en cette époque de progrès variés, le regard sur les maladies mentales n'évolue pas.
Et pourtant, la croissance des troubles variés est bien là. Peut-être que votre fille, votre fils, votre cousin en sera atteint. Et vous ferez quoi, alors ? Vous lui direz de se bouger le cul, tandis qu'il ou elle sombrera ? Vous en voudrez-vous en cas de suicide, de n'avoir jamais accepté le fait que peut-être, la souffrance était réelle ?
J'aimerais vous y voir.
Je ne comprends pas plus ce besoin qu'on certaines personnes de crier haut et fort combien les malades mentaux sont juste idiots ou faibles.
Que cela apporte-il ?
Y'a-t-il en eux une noirceur qu'ils n'assument pas ?
Veulent-ils se prouver qu'ils resteront forts ?

D'ailleurs, si les troubles mentaux sont un tel plaisir, pourquoi tant de suicides ?
En votre for intérieur, vous espérerez presque que ceux qui vous disent que c'est "lâche" de faire ça choppent une petite ou grosse dépression. Juste comme ça. Pour en reparler, quand ils seront dévorés par le mal-être et commenceront eux aussi à doucement réfléchir à cette poutre dans le salon...

Comme cette amie que vous aviez, et qui n'avait de cesse de vous insulter lorsque vous étiez au fond du trou : c'est de ta faute, t'as qu'à te bouger, tu le fais exprès ! Vous avez cessé de l'écouter. Vous l'avez sentie s'éloigner, et cela vous importait alors peu.
Et la voilà qui revient un beau matin, les yeux rougis, tête baissée, murmures d'excuses en sous-entendus. Elle est paumée. Sous antidépresseurs. Elle vient chercher de l'aide auprès de vous, parce que vous en connaissez un rayon sur le sujet, elle regrette de vous avoir dit "tout ce qu'elle dit". Vous auriez presque envie de la laisser là, et lui dire qu'après tout, suffit de se bouger et faire preuve de volonté. Mais vous ne connaissez que trop bien ce qu'elle traverse. Et un soutien vous réconcilie.Un soutien ô combien vital, ô combien rassurant. Car l'union fera toujours la force, malgré tout.

Les gens ne se suicident pas par plaisir. Mourir est un acte terriblement dur, l'instinct de survie étant vif au creux de chacun. Ceux qui parlent de lâcheté ne savent rien du courage immense qu'il faut pour se tuer. Ni de la douleur sourde qui mène à cette décision.

Car alors, bouffé par cette chose interne et violente, seule la mort peut apparait capable de délivrer. Elle vous broie. Matin, midi, soir, nuit, sans pause, sans vacances, sans coma, ni morphine. Car non, il n'y a pas de pause, quand on souffre d'un trouble psychique, non, vous resterez conscients de la douleur tout le temps, même dans vos nuits, dans vos cauchemars.

Pour qu'un être humain décide de son plein gré de mourir, c'est qu'il faut une bonne dose de souffrance en lui. Et je continuerai de penser que tous les suicidés du monde auront été bien plus courageux que ceux qui parlent et parlent sans rien connaître de leur sujet, persuadés de détenir la vérité ultime.

Un jour, les médecins vous expliqueront que votre souci est un handicap reconnu. Vous vous garderez bien de répéter cela. La culpabilité, encore. Vous savez que cette chose est en train de réduire votre vie à néant, mais l'idée du handicap vous est difficile, et il vous faut de longs mois pour accepter à moitié cette idée. Et comme diraient les autres : handicapé de quoi ? Tu marches, non ?

Tant d'incompréhension, tant de préjugés.
Peut-être, un jour, parviendra-t-on à informer la population sur la vérité des troubles mentaux, leur cause, leurs conséquences, leurs dangers, le fait que personne n'est à l'abri. Enfin, si la population veut bien écouter. Car là reste le problème de fond, personne ne s'écoute, chacun à un avis sur tout, et tout le monde juge. C'est bien plus facile, après tout.

Parfois, ça ira mieux, d'autres fois nettement moins. On continuera de s'énerver ou de soupirer face à vos appels au secours, la seule option avant de crever. Dans le bocal, vous coulez sous les regards condescendants. On s'amusera à appuyer sur votre tête, en vous répétant que vous l'avez bien choisi.  Les larmes couleront, la nuit ou sous la douche, pour ne pas qu'on râle de voir vos yeux humides. Coupable !

Lors des crises d'angoisses, vous vous demandez comment fait votre corps pour survivre. Tant d'assauts, le cœur ne devrait-il pas finir par lâcher ? C'est si violent, une angoisse, une panique. Le corps lâche et implose, tremble, bat, frémit. Lorsque la crise s'atténue, vous êtes aux abois, épuisé. Comme si vous veniez de galoper sur des kilomètres. Et vous n'avez plus qu'à serrer les dents, encore.

Vous n'avez pas le droit d'être mal. Vous avez signé en venant au monde, vous avez signé : je n'ai pas le droit de souffrir, je serai heureux, parce que seul le bonheur est autorisé. Si ma maladie est considérée comme légitime, alors je souffrirai, et on m'offrira des chocolats. Autrement, j'accepte de sourire et de vivre.

Pourquoi le mal de vivre dérange-t-il autant ? Vous êtes bien, heureux ? Alors vivez, mais ne venez pas juger les autres sans aucune connaissance.
Va-t-on discourir d'un livre que l'on n'a pas lu ? Je crois que non. Mais je peux me tromper, hein...

Vous vous permettez de rêvasser, parfois. Parce que vous avez trop regardé Dr House. Vous vous dites, ça se trouve, c'est physique, y'a quelque chose qui bloque, ou ne fonctionne plus, vous vous dites, ça se trouve, il suffirait de m'opérer, et je retrouvais goût à la vie. Et les autres arrêteront de m'en vouloir. Et je pourrai retrouver la terre ferme, loin de l'océan sans fond, ses vagues et son courant.

Autour de votre carcasse, on s'habitue, et vous resterez cette personne triste et bizarre dont on ne cherche plus à comprendre ce qui cloche. Cette personne triste dont on n'a jamais compris pourquoi un jour, elle s'est jetée sous un TGV.

Une haine viscérale vous dévorera. Et vous deviendrez cruels. Vous vous sentirez seul, avec cette maladie invisible et que personne ne prend au sérieux, vous vous sentirez rejeté, jugé sans preuves, annihilé par les réflexions.

Vous repenserez doucement au petit homme qui avait vaincu le cancer, mais qui n'a su lutter contre la dépression. Celui qui répétait et répétait tout le temps ce fait, parce qu'il ne comprenait pas. Lui aussi, on lui avait toujours dit que la dépression, c'est rien. Alors vaincre le cancer et se sentir dévoré par la dépression, c'était le monde à l'envers.
Ce petit homme qui a baissé les bras pour employer les dires de ceux qui savent tout. Il est mort en silence, dans un recoin, parce qu'il ne voyait plus d'issue. Vous voulez des détails ? C'est le froid qui l'a tué. Un soir d'hiver, il est sorti, habillé d'un tee-shirt. Il s'est assit sous un arbre, dans un parc. Il est mort d'hypothermie. 

Etait-il faible, cet homme ?
Est-ce de la faiblesse, que de serrer les dents quand le froid vous ronge les os, mais rester là, sans aller se réchauffer, jusqu'à ce que le corps cède ?
Manquait-il de volonté ?

De mon côté, je continue de penser à lui, de temps à autres. Parce qu'il était émouvant, à vif, écorché, qu'on aurait aimé avoir une solution à lui offrir. Personne dans sa famille ne lui a tendu la main. La cancer, oui, là, tous l'avaient soutenu, okay. Mais la solitude de la dépression l'avait catapulté dans cette clinique, un peu comme pour se débarrasser de lui.

Repose en paix.