[Texte 20 décembre 2014]
C'est comme si tout se fracassait la gueule en ce moment. Un peu comme mon mug, hier.
Oui,
mon mug. C'est toujours le seul objet auquel on tient qui, malgré le
soin qu'on lui procure, malgré les attentions, finit irrémédiablement en
miettes quelque part, qui plus est au moment où l'on s'y attend le
moins.
C'était le soir de mes vingt ans.
J'étais
en clinique psychiatrique, et j'avais encore moins envie de sortir de
ma chambre qu'à l'habitude. Je boudais, parce que le soir de nos vingt
ans, on est censé faire la fête, on est censé avoir des amis, on est
censé... être heureux. Je ne faisais pas la fête, mes amis étaient
partis, et je n'étais pas heureuse. Donc je boudais.
On
a frappé à ma porte, j'ai supposé que ce n'était personne avec quelque
blouse blanche : eux ils entrent sans frapper, en se foutant bien qu'on
soit à poil, ou qu'on aie envie d'être un peu seul.
J'ai
fini par ouvrir, et un petit groupe de patients-amis étaient là,
timides, avec des petits cadeaux et ont chantonné, maladroits,
adorables. Ça m'a fait aussi mal que bien. Parce que tant de gens qu'on
connait bien oublient souvent les anniversaires. Eux, ils ne me
connaissaient pas tant que ça, je ne les connaissais pas tant que ça, on
avait dû me demander la date de mon anniversaire, j'avais dû l'énoncer
d'une voix pâle, et ils l'avaient retenue, putain, et ils avaient acheté
de petits cadeaux, putain, et ils étaient venus me voir... putain.
Non
pas que ça me tienne à cœur, les anniversaires. J'ai même déjà oublié
le mien, le jour en question. Mais c'est comme ça. Ça m'avait
bouleversée.
Ce mug artistique était un
des petits cadeaux. Et même si je n'ai plus aucun contact avec eux,
leurs visages sont toujours gravés dans mon esprit, malgré leurs traits
flous et les détails manquants. Alors j'en prenais soin, de ce mug. Je
le posais toujours au centre de la table, pour pas qu'il tombe. Je le
lavais mais ne le posais pas avec le reste de la vaisselle propre : on
ne sait jamais.
Et hier, je sais pas ce
qui s'est passé. Il s'est fracassé la gueule, il est tombé, comme ça,
sans crier gare. Quand je l'ai vu en morceaux par terre, j'ai bien cru
que j'allais chialer comme une gamine. Mais non, je suis restée
plusieurs minutes là, plantée dans la cuisine, comme si y'avait un
cadavre à mes pieds.
Ce matin, j'ai ramassé les morceaux, je les ai placés dans une barquette en plastique contenant à l'origine de la crème glacée, que j'ai refermée et rangée dans un coin. C'est con, mais je pouvais pas les jeter.
Voilà, c'était ça, mon mug.
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